” Dans la tête “
Cartographie d’un théâtre intime

Pesant en moyenne 1,5 kg, le cerveau est un organe emblématique du vivant. Il incarne à lui seul la complexité du corps et la multiplicité de l’esprit — à la fois matière, pensée, structure biologique et puissance imaginative. C’est le centre névralgique d’un système que l’on croit connaître, mais qui nous échappe souvent.

C’est dans un aéroport, en plein cœur d’une période où elle explorait intensément les formes biomorphiques — et notamment au moment où elle concevait Morphogenèse — que l’idée de travailler sur le cerveau lui est apparue. Observer le comportement humain, les façons de ressentir, d’interpréter, de dévier ou de rêver, a toujours été pour elle une source de fascination. Avec cette forme organique, complexe et mystérieuse, c’est toute une diversité intérieure qu’elle a eu envie de questionner, de représenter, d’imaginer. Le cerveau est alors devenu pour elle un motif central, un terrain d’exploration plastique à la frontière du mental, du sensoriel et de l’imaginaire.

Dans cette série, elle prolonge son travail en relief amorcé avec Morphogenèse, en utilisant de la colle thermoplastique au pistolet — un matériau peu noble, mais étonnamment adapté à ce sujet. Il lui permet de dessiner des circonvolutions nerveuses avec spontanéité, densité et vie. Le gel durcisseur vient subtilement accentuer le volume de certaines formes, tandis que l’acrylique, appliquée en couches colorées — vives, parfois dissonantes — ajoute une charge émotionnelle à l’ensemble.
Une variation parallèle a également vu le jour sous forme d’impressions en linogravure, prolongeant la série dans un autre langage graphique.

Chaque pièce est une variation possible d’un même organe : un glissement du familier vers l’imaginaire. Elle compose des cerveaux stylisés, souvent asymétriques, où la forme se détache de l’anatomie pour devenir surface mentale. Il ne s’agit pas de représenter, mais de faire parler autrement : donner au cerveau une voix, une allure, une fiction propre.

À travers cette série, elle cherche à rendre perceptible cette part de nous-mêmes que nous ne maîtrisons pas toujours : plasticité de l’esprit, capacité à muter, à résister, à inventer. Chaque cerveau a sa forme singulière, comme chacun de nous : avec ses repères, son histoire, son héritage. Elle propose ainsi un théâtre intérieur, ouvert, mouvant, habité d’inconnus et de possibles.
Le silence d’une personne n’est jamais vide : il est habité — par tout ce qui ne s’énonce pas, mais insiste. Et dans chaque tête, une manière propre de penser s’invente : entre langage intime et codes communs, personne ne sait jamais tout à fait ce qui se trame dans l’esprit de l’autre.

Le cerveau devient alors une fiction organique, une matrice instable, une cartographie intime.
Au final, dans la tête, on est un, multiple, et jamais tout à fait seul.

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